“Hé Mademoiselle, qué rica estás”

Alors que la France semble découvrir les enjeux du harcèlement de rue, la conscience de ce problème est loin d’être “occidentalocentrée”. L’Amérique latine, de tradition précisément machiste, mène un combat continu contre ce phénomène.

Par Sixtine Balteaux et Sophie Sabiron. 

IMG_4999Journée de la femme à Carthagène des Indes, Colombie, 8 mars 2017, copyright © Sophie Sabiron

Du compliment au harcèlement   

“Où commence le harcèlement ?” À cette question, les réponses divergent : insistance, contact physique, atteinte à la dignité de la personne, propos dégradants, absence de consentement, etc. La définition du concept n’est pas unanime et peut sembler floue ; certains comportements, acceptés par les uns, sont condamnés par les autres. Mais alors, où se situe la frontière entre drague et harcèlement ? Stop Harcèlement de Rue (http://www.stopharcelementderue.org/) dresse la définition suivante : « comportements adressés aux personnes dans les espaces publics, visant à les interpeller, leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants, insultants en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle. »

Pour résumer, deux critères fondamentaux sont à prendre en compte, à savoir la teneur des propos et le consentement.

En Amérique latine, la culture du “piropo”

IMG_4998Journée de la femme à Carthagène des Indes, Colombie, 8 mars 2017, copyright © Sophie Sabiron

Le phénomène de harcèlement de rue connaît une ampleur conséquente sur le continent latino-américain. La culture machiste est particulièrement ancrée dans la société et les femmes semblent s’être “adaptées” à ce phénomène. En effet, elles sont confrontées aux fameux “piropos” quotidiens, considérés comme des compliments de par leur définition mais souvent détraqués en remarques obscènes.

“¡Te hago tres hijos !”,”Mamita estás tan buena que te comería”… sont autant de remarques vulgaires qui rythment le quotidien des latinas. Comme le relate Claudia, étudiante mexicaine en échange à Paris, “Je ne doute pas que le harcèlement de rue existe en France, mais selon moi, il est moins évident ». Manuel, jeune mexicain ayant vécu en France, estime que la société de consommation entretient l’inégalité des genres, et qu’elle se traduit à Mexico principalement par du harcèlement de rue.

Pierre et Marie, deux étudiants du Master Amérique latine de Sciences Po Grenoble, nous ont fait part de leurs impressions. Pierre reste notamment marqué par la normalité du phénomène, lorsqu’il surprenait par exemple des pères de famille latinos siffler des jeunes femmes qui auraient pu être leurs filles.

Pierre Le Bihan : Ses expériences en Amérique latine, sa vision du harcèlement de rue, copyright © Sixtine Balteaux, Sophie Sabiron

Marie, quant à elle, a remarqué que lorsqu’elle est accompagnée d’un homme dans les rues de Buenos Aires, les remarques sont moins fréquentes que seule.

Marie Jacquillard : Ses expériences en Amérique latine, sa vision du harcèlement de rue, copyright © Sixtine Balteaux, Sophie Sabiron

Justement, en Amérique latine, nombreuses sont les filles qui évitent de sortir seules. Daniela, jeune colombienne ayant vécu un an à Bordeaux, raconte qu’en France, elle se sentait plus en sécurité qu’en Colombie, et rentrait donc à pied chez elle, seule, de nuit, sans crainte. Mais c’est pourtant dans ce contexte qu’elle a subi un harcèlement de rue.

Contre la violence de genre, des wagons réservés aux femmes

Face à ce type de comportement devenu presque banal, la résignation et la culpabilisation sont les sentiments qu’éprouvent les femmes victimes de harcèlement. Baisser la tête, refouler sa colère et ne rien dire par peur, telles sont les tristes options des femmes. Mais alors, comment stopper ce calvaire ?

Pour délier les paroles, un mouvement mondial de dénonciation s’est mis en place sur les réseaux sociaux à la suite de l’affaire Weinstein mettant en avant que le harcèlement n’a pas de frontière. Après #balancetonporc et #metoo, la version espagnole #yotambién n’a pas tardé à voir le jour.

Paradoxalement, alors que la société latino-américaine est visiblement plus machiste et conservatrice en matière de droits des femmes, les efforts pour faire cesser ces comportements sont plus développés qu’en France. Plusieurs mesures ont été mises en place dans la ville de Mexico pour lutter contre les comportements sexistes, notamment dans le cadre des transports. Une des initiatives est de réserver des wagons de métro exclusivement aux femmes. Rio de Janeiro et Buenos Aires ont d’ailleurs emboîté le pas à cette initiative. D’autre part, Mexico a lancé la campagne “#NoEsDeHombres”(https://www.facebook.com/PlayGroundMag/videos/1486562691383602/) en créant un siège avec un pénis réservé aux hommes, pour éveiller les consciences masculines sur le harcèlement. Toutefois, ces mesures efficaces à court terme ne règlent pas le problème en profondeur.

Par ailleurs, au Mexique, au Costa Rica, au Pérou et en Argentine, des lois sanctionnent le harcèlement de rue. On attend toujours qu’une telle loi voie le jour France. Le projet est visiblement en cours ; Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, prévoit de mettre en place une loi verbalisant le harcèlement de rue.

 

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